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LE VOYAGEUR

J’ignore les appels insistants, les plaintes apeurées du monde que je quitte. Amant délaissé, il me promet la chaleur et la douceur d’une couche déjà abandonnée. La rancœur et la haine naissantes affleurent sous ses mots. Le souvenir de ma présence alimente sa colère, alors je reste insensible aux derniers coups endeuillés qu’il me porte. Je voyage le cœur et le bagage vides, abandonnés de la lourde peur, de l’accablante trahison, de l’écrasant mensonge, négociants de ma vie. L’enivrante fragrance d’une liberté ondoyante emplit l’horizon. Je marche à ma rencontre, solitaire et heureux, le vent d’Est séchant les larmes d’une tristesse étrangère. Soufflant les cendres d’une vieille nostalgie, les braises rougeoient d’un feu à venir. La faim, ma compagne, chante à mon corps allégé les exploits, étincelles fulgurantes, jaillissant de mon âme, de ma plume et berce sans sommeil mon esprit délivré. L’Ombre est une complainte singulière, son crépuscule pleure un éternel retour, la Lumière tisse un conte nouveau, le souffle de l’aube enchante l’amour du dernier départ, ensemble elles me pétrissent, me façonnent à l’image ignorée. Je vis dans la beauté pure et brûlante, terrible destructrice embrasant l’univers de la violence originelle. Je suis son fils incestueux, l’adorateur passionné d’une déesse trop lointaine, révélant le monde aux poètes dans les rires cristallins des muses aux corps soyeux. Nulle lutte, nul combat n’atteindront l’éperdu que je suis. Je vis éthéré, revenu au monde par la délicieuse habitude charnelle. Je suis la migration d’une âme attachée à une vie, effleurant les silhouettes transparentes des rêveurs endormis. Je suis le rêve d’une vie, la vie d’un rêve, le miroir et le reflet infini d’un sommeil renoncé.




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